Les cancers de la peau
Partie 4 - Capital soleil et crème solaire
Le capital soleil impose de protéger les enfants
On évoque souvent le « capital soleil » dans les maladies de peau et en particulier le mélanome. Il s’agit de la quantité d’UV supportée par la peau avant de subir des dommages. Il est déterminé génétiquement à la naissance et varie selon le phototype. Mais la peau possède des capacités naturelles à réparer les dommages du soleil qui ne sont pas seulement dépendant du phototype.
Le terrain, l’environnement, l’hygiène de vie jouent un rôle évident. Le tabagisme, les carences en vitamine D, mais aussi en antioxydants comme les caroténoïdes semblent impacter le risque.
Concernant l’exposition au soleil, certains points semblent plus importants que d’autres :
- L’exposition des enfants au soleil. La peau des enfants est encore plus fragile et leur organisme en pleine croissance font que les mélanocytes ont plus de risques de s’altérer. Cela expliquerait en partie l’apparition de mélanomes chez les adultes jeunes. Il faut absolument lutter contre l’exposition excessive des enfants au soleil avant 12 ans. Les crèmes solaires n’étant pas une solution suffisante comme je l’expose un peu plus loin
- L’exposition brutale au soleil en cas de peau claire. Rien n’est plus dangereux que d’arriver d’un pays peu ensoleillé (comme la France en hiver) et de s’exposer brutalement au soleil sous les tropiques pendant 1 semaine de vacances. On associe à la fois la brutalité de l’exposition à l’inflammation du coup de soleil et c’est sans aucun doute un facteur de risque important de mélanomes.
On n’oubliera pas le risque que prennent les personnes qui utilisent tout au long de l’année les cabines de bronzage même si, à dose raisonnable et modérée, ce n’est peut-être pas le pire. D’ailleurs, il est même possible que quelques séances de cabine, sans excès, avant de partir en vacances au soleil en plein hiver, permettraient de préparer la peau et de limiter le traumatisme cutané lié à l’exposition brutale dans ces conditions.
On peut également citer des risques spécifiques à certains métiers :
- Les rayonnements UV (travail à l’extérieur, soudures des métaux),
- Les Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) (présents dans les goudrons de houille et bitume)
- L’arsenic (fabrication ou utilisation de pesticides en agriculture …).
Ces facteurs de risques peuvent agir en synergie. (1)
Pour conclure sur le capital soleil, je me dois de vous rappeler les mécanismes de la cancérisation. Il faut d’abord une inflammation avec un élément cancérigène. Les coups de soleil répétés sont une bonne piste. Ensuite il faut des cellules qui se divisent beaucoup et ont plus de risque de muter. C’est le cas chez les personnes jeunes. Puis, une fois que cette étape « d’initiation » démarrée, il faut que ces cellules mutées puissent prospérer. C’est la phase de promotion du cancer. Pour cela il faut un terrain favorable avec une immunité trop « tolérante », des carences défavorables (vitamine D, antioxydants, oméga-3 …). Cette phase de promotion peut durer parfois 20 ans. Puis, si ce terrain « défavorable » a persisté suffisamment longtemps, on arrivera la 3ème phase de la cancérisation qu’on appelle « propagation ». Quand on en est là, il est trop tard pour faire de la prévention et il faut utiliser des traitements agressifs (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie …)
Vous comprenez donc que pour réduire le risque de mélanome il est important de :
- Respecter et économiser son capital soleil
- Entretenir un terrain propice à se défendre contre la promotion du cancer.
Les crèmes solaires
Les crèmes solaires sont-elles la solution pour protéger son capital soleil comme beaucoup de publicités peuvent nous le laisser penser ?
Je voudrais poser la question autrement histoire de tout de suite brosser les grandes lignes du débat : dans la prévention du mélanome, quelle est la place des crèmes solaires ? Protection ou augmentation du risque ? La réponse n’est pas si simple.
Je voudrais essayer de vous faire comprendre la problématique des crèmes de protection solaire dont on tartine les enfants tous les étés et que les adultes utilisent parfois de façon abondante et incontrôlée.
Je ne mets absolument pas en question les campagnes de protection solaire, car il est absolument certain que l’exposition excessive au soleil, surtout avant 10 ans, est un des facteurs prédisposant au mélanome. Donc pas question de remettre en cause la protection contre le soleil. C’est plutôt la méthode qui me pose un problème. En effet, les crèmes proposées à grand renfort de publicité et de message de prévention sont, pour une majorité, efficaces contre les UV et c’est bien pour éviter les coups de soleil.
Oui, mais voilà, la composition de ces crèmes est-elle si « neutre » pour notre santé. Les effets de leurs ingrédients ont-ils été bien étudiés au-delà de leur effet protecteur contre les UV ? Que penser des effets à moyen terme de tous ces produits chimiques qu’on applique sur la peau fragile des enfants ? Sans parler de l’impact écologique sur la nature (eau, plantes, animaux …)
Pour tout vous dire, ça n’est pas correctement évalué. Et pourtant, les crèmes solaires peuvent contenir des substances chimiques, potentiellement toxiques auxquelles les enfants sont plus sensibles que les adultes. Sans parler des risques allergiques toujours supérieurs chez l’enfant.
Certains filtres UV ont même montré une influence sur nos hormones. Les filtres pénètrent dans notre organisme et se retrouvent dans notre sang. Certains d’entre eux ont même été détectés dans le lait maternel ! Ce sont les conclusions d’une étude suisse menée sur 52 femmes de la maternité de Bâle (2). Les chercheurs ont retrouvé des traces de filtres UV dans 85 % des laits maternels prélevés ! Ils ont également constaté qu’il y avait un lien entre l’application de crèmes solaires pendant la grossesse et la présence de deux composés chimiques : le 4-Méthylbenzylidène camphre (4-MBC) et l’octocrylène (OC) chez le fœtus ou dans le placenta.
Une fois introduits dans l’organisme, ces filtres chimiques peuvent porter atteinte à la santé humaine, mais également à la santé animale, car ce sont des perturbateurs endocriniens. Parmi 9 filtres étudiés, 8 ont montré des propriétés œstrogéniques in vitro et 2 ont montré des propriétés anti-androgéniques, c’est-à-dire qu’ils sont susceptibles d’être féminisants. (3)
L’étude a également montré que l’exposition des animaux à certains filtres avant et après la naissance affectait le développement hormonal et modifiait l’expression des gènes régulés par les hormones femelles. Des malformations congénitales, des retards pubertaires chez les mâles et des modifications des organes reproducteurs ont ainsi été observés. Selon l’étude, l’exposition à ces filtres UV pendant la grossesse pourrait faire courir le même risque aux fœtus. Sans parler de l’effet néfaste sur les poissons des mers et des rivières et même sur les coraux !
Une étude de mai 2019 publiée dans le JAMA, une des plus grandes revues médicales, a prouvé une fois encore que les concentrations sanguines pour les quatre filtres analysés en suivant un protocole d’application respectant les recommandations d’utilisation des produits étaient supérieures au seuil recommandé pour effectuer des tests toxicologiques ! Il s’agit des : avobenzone (AVO), oxybenzone (OXY), octocrylène (OCT) et écamsule (ECA).
Les 4 produits exposaient les sujets à des concentrations plasmatiques maximales supérieures à 0,5 ng/mL dès le premier jour d’application, qui persistaient durant les 4 jours d’exposition.
Évidemment, il n’a pas été étudié les réels impacts sur la santé et donc aucun de ces produits n’est interdit ni même accompagné de précautions d’emploi. Mais une chose est sûre, ils passent bien dans notre sang ! Et ces travaux n’ont pas été faits chez l’enfant qui, pourtant, a une peau encore plus « perméable ».
Souvenons-nous de la célèbre crème solaire Bergasol, dont les gens s’enduisaient il y a quelques années avant de s’exposer au soleil « pour éviter ses brûlures et le vieillissement cutané ». Elle a fini par être retirée du marché pour avoir été officiellement reconnue comme étant cancérigène. L’affaire Bergasol n’est qu’un cas parmi beaucoup d’autres, avérés ou à venir.
D’autres filtres sont dits « minéraux », mais peuvent contenir des nanoparticules. Pour une fois, même L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a recommandé il y a quelques années de ne pas utiliser de cosmétiques – en particulier les crèmes solaires – contenant des nanoparticules de dioxyde de titane sur une peau lésée ou sur les coups de soleil du fait des risques potentiels pour la santé humaine ! Pourtant, beaucoup de crèmes solaires contiennent ces nanoparticules.
La même question de pose pour l’oxyde de zinc (ZnO) sous forme de nanoparticules. Il semblerait que plus celui-ci est exposé à la lumière solaire, plus il génère la production de radicaux libres au niveau des cellules de la peau. Ce qui, à long terme, pourrait augmenter le risque de cancer de la peau, un comble ! Ça reste malgré tout le filtre minéral le moins à risque à priori.
Les filtres à base de titane pourraient être acceptables s’il ne s’agit pas de nanoparticules dont la diffusion dans notre organisme est mal étudiée. Je préfère dans ce cas le zinc qui est un oligoélément moins à risque que le titane qui a prouvé sa toxicité quand il passe dans le sang.
Pour finir, provisoirement, cette liste, il ne faut pas oublier que la plupart des crèmes doivent contenir des conservateurs. Trop souvent on retrouve ainsi des parabens, du phénoxyéthanol et quelques autres molécules qui sont des perturbateurs endocriniens, très à risques pour la santé humaine, des petits et des grands.
Alors on pourrait avoir envie de se reporter uniquement sur des crèmes « bio », mais malheureusement, beaucoup contiennent des nanoparticules et, pire encore, le magazine UFC Que Choisir a publié il y a quelques années une étude qui montrerait que certaines crèmes solaires bio pour enfants ne sont pas suffisamment protectrices.
Pour autant, une crème « bio » un peu moins protectrice, mais sans excipients toxiques et sans filtres à risque n’a-t-elle pas, au final, un rapport efficacité-toxicité bien meilleur ?
Alors quel choix faire pour vous et vos enfants ou petits-enfants ?
En priorité voici le conseil que je donne à mes patients : un enfant en bas âge, on ne l’expose pas au soleil. On évite de le mettre en plein cagnard aux heures les plus chaudes, on le laisse jouer SOUS un parasol avec un chapeau et un maillot de corps, ce qui limite grandement les besoins d’appliquer des tonnes de crème et qui évite dans la plupart des cas l’agression solaire au niveau de leur peau si fragile !
Si on se réfère à l’association américaine « Environmental Working Group » (EWG) qui synthétise les dernières recherches, voici ce que l’on peut dire au regard des dernières données scientifiques :
- Il n’existe pas de consensus scientifique pour dire que les produits solaires préviennent le mélanome.
- Il n’existe pas de preuve que les crèmes « indice 50 » soient plus protectrices que les autres vis-à-vis des cancers ou même du vieillissement.
- Il existe des éléments qui laissent penser que certaines crèmes solaires augmenteraient le risque de cancer de la peau chez certaines personnes.
- Plusieurs ingrédients des produits solaires, sous l’effet des radiations UV, génèrent des radicaux libres qui peuvent accélérer le vieillissement et augmenter le risque de certains cancers de la peau.
- De nombreux produits solaires contiennent des perturbateurs endocriniens ou des nanoparticules nocifs pour la santé
- Les produits solaires, une fois dilués dans l’eau, contribuent à détruire l’écosystème marin.
- La réglementation française portant sur les produits solaires est peu exigeante et peu regardante sur la composition des produits.
- Les produits solaires procurent une fausse impression de protection : ils font oublier que l’ombre, des vêtements protecteurs et un temps d’exposition raisonnable sont les meilleures protections qui soient !
Alors à chacun de choisir comment il veut se protéger du soleil.
Mais mettre sur la peau de vos enfants et petits-enfants des crèmes protectrices riches en molécules chimiques ou nanoparticules dont on sait parfaitement qu’elles passent dans le sang et dont on ignore tout du devenir et de leur toxicité à moyen terme n’est pas très rassurant.
Les produits « bio » ne sont certainement pas parfaits, mais comportent un peu moins de risques santé. Attention quand même aux étiquettes, car certaines crèmes qui se disent « bio » contiennent quand même des parabens ou d’autres molécules à risque !
Protégez-vous du soleil par tous les moyens « mécaniques et physiques possible » et quand vous devez jouer sur la plage, vous promenez au soleil ou pratiquer votre sport en extérieur, utilisez une crème protectrice « bio » afin de limiter la morsure du soleil, mais n’en abusez pas.
Évidemment, tout cela va dépendre avant tout de votre phototype.
Et, bien entendu, n’oubliez pas vos lunettes de soleil ! On ne le dit pas assez, mais l’excès de soleil favorise la cataracte. Et une fois qu’on a été opéré, il va favoriser le vieillissement de la rétine et même la terrible DMLA.
Le soleil est source de vieillissement de la peau, mais pas obligatoirement de mélanome
Les publicitaires, pour vendre leurs crèmes solaires, vont souvent utiliser des visages à la peau flétrie et ridée comme on peut parfois l’observer chez des vieux loups de mer ! Cela ne fait aucun doute, le soleil en excès fait vieillir la peau, car il favorise la dégradation du collagène et surtout de l’élastine et augmente ainsi les rides. Il va aussi favoriser l’apparition de « taches » ou autres lésions cutanées teintées, mais bénignes.
On parle parfois de dermatohéliose comme chez ce routier dont vous avez peut-être vu la photo dont la moitié droite du visage est beaucoup plus « vieillie » que la partie gauche du fait de son exposition au soleil et au vent. On est là typiquement sur une affection liée au stress oxydant et il ne faut pas oublier l’hygiène de vie, le tabagisme et bien d’autres causes de stress oxydant, sans parler de la génétique qui joue un rôle majeur dans le vieillissement cutané et la quantité de rides.
Si vous voulez vous préserver de ces effets néfastes, mais uniquement esthétiques, ne vous exposez pas trop au soleil. Par contre, aucune crème solaire n’a démontré son rôle protecteur pour éviter ces dégradations liées à l’âge et au soleil. Pour cela il faut surtout bien nourrir sa peau, de l’intérieur par une alimentation équilibrée et de l’extérieur avec des crèmes de soins après-soleil réparatrices. Je réserve un chapitre à ce sujet à la fin de ce dossier.
Mais ces photos de visages ridés ne sont en rien des facteurs de risque de mélanome et ne justifient pas un usage excessif de crèmes solaires « protectrices ».
Surtout que le soleil n’est pas que néfaste. Il réchauffe notre corps, nous soulage de certaines douleurs rhumatismales et joue un rôle antidépresseur certain. Alors comme toujours, la vérité est située entre les deux et l’exposition au soleil est nécessaire à notre santé si elle est modérée et ne se fait pas aux heures les plus chaudes.
Accuser le soleil d’être la cause du mélanome est un peu trop simpliste, même si ce cancer augmente régulièrement en même temps que le réchauffement climatique et même si ces cancers sont plus fréquents dans les pays très ensoleillés comme en Australie (3 fois plus de mélanomes qu’en France). Mais là encore, le soleil est-il la seule explication ?
Ce qu'il faut retenir
- Capital soleil : quantité UV supportable avant dommages ; génétique + hygiène de vie (tabagisme, carences).
- Priorité enfants : peau fragile, éviter exposition excessive avant 12 ans ; crèmes insuffisantes.
- Dangers : exposition brutale, cabines UV, métiers (UV, HAP, arsenic).
- Mécanismes cancer : inflammation (coups de soleil), mutation, promotion (terrain, carences), propagation.
- Crèmes efficaces contre UV mais ingrédients toxiques (perturbateurs endocriniens, nanoparticules) passent dans sang/lait maternel ; risques hormonaux, cancers, environnement.
- Études : concentrations sanguines élevées (JAMA), effets sur fœtus/animaux ; exemples comme Bergasol cancérigène.
- Minéraux (zinc/titane) : zinc préférable, éviter les nanoparticules.
- Alternatives : bio (moins risquées), protection physique (vêtements, ombre) ; pas de consensus sur prévention mélanome.
- Soleil : accélère vieillissement (rides, taches via collagène/élastine) mais pas unique cause de mélanome ; bénéfices (antidépresseur, rhumatismes).
1 - INCa, 2012
2 - Schlumpf M, Kypke K, Wittassek M, Angerer J, Mascher H, Mascher D, Vökt C, Birchler M, Lichtensteiger W. Exposure patterns of UV filters, fragrances, parabens, phthalates, organochlor pesticides, PBDEs, and PCBs in human milk: correlation of UV filters with use of cosmetics. Chemosphere 2010; 81:1171–1183.
3 -
Schlumpf M, Schmid P, Durrer S, Conscience M, Maerkel K, Henseler M, Gruetter M, Herzog I, Reolon S, Ceccatelli R, Faass O, Stutz E, et al. Endocrine activity and developmental toxicity of cosmetic UV filters--an update. Toxicology 2004; 205:113–122.
Pour aller plus loin
Ces conseils n’ont pas vocation à remplacer une consultation médicale. Ils peuvent vous aider à mieux dialoguer avec votre médecin afin de faciliter le diagnostic et les choix thérapeutiques.
Ils peuvent éventuellement vous permettre d’attendre le rendez-vous avec votre médecin si les délais sont un peu longs.