La médecine intégrative

Partie 6 - L’Evidence Based Medecine : pas si évidente que ça !

Très souvent, en particulier en France, on oppose aux médecines naturelles la notion de médecine basée sur les preuves et on nous ressort à chaque fois la fameuse Evidence Based Medecine aussi appelée EBM.

Mais qu’est-ce que cette EBM qui semble être l’étalon or de la médecine, l’alpha et l’oméga de la science en santé ?

Je voudrais vous expliquer ce qu’est réellement l’EBM et pourquoi je suis à la fois un grand défenseur de cette approche et pourquoi je crois que certains scientifiques ou médecins n’ont rien compris à sa définition et à son application.

Mieux comprendre l’Evidence Based Medecine permettrait de réconcilier les différents soignants, quelle que soit leur approche, car elle est à mon sens une parfaite définition de la santé intégrative.

Je vous le dis d’emblée, tout ce que je vais vous expliquer sur l’EBM est totalement incontestable, car basé sur sa définition originelle trop souvent oubliée alors que ces notions sont connues de tous !

La définition originelle de l’EBM

L’EBM a été définie dans les années 80 par ses « créateurs », Gordon Guyatt et David Sackett à la Faculté de médecine McMaster au Canada. Leur but était d’analyser tout ce qui fait qu’un traitement sera plus efficace.

Pour ces Canadiens, le mot « évidence » évoquait « ce qui est probant », ce qui est scientifique, mais aussi sur quoi se fonde l’expertise du clinicien en conjonction avec la recherche clinique scientifique afin de prendre ses décisions thérapeutiques. Autrement dit, le but était de se servir des résultats scientifiques, mais de ne pas être aveuglé par eux.

Leur conclusion était, pour moi, sans appel : « Sans l’expertise clinique, la pratique risque de tomber sous la tyrannie de la preuve, puisque même les plus excellentes preuves externes peuvent être inapplicables ou inappropriées au patient spécifique dont nous avons la charge. »

Une médecine à la pointe de la recherche dans tous les domaines de la santé (sciences physiques, chimiques, mais aussi humaines) se doit d’être basée sur des données probantes, mais aussi, et tout autant, sur l’expérience des praticiens. 

Ainsi, l’EBM regroupe en réalité TROIS aspects qui doivent être tous pris en considération pour faire le choix thérapeutique le plus adapté au patient que nous avons en face de nous :

  • Les résultats des études scientifiques, qui sont essentiels mais qui ne représentent qu’une partie des critères de décisions.
  • L’expérience clinique du praticien qui pourra déterminer si tel remède est réellement adapté au patient unique qu’il a devant lui et si d’autres traitements ne peuvent pas être plus appropriés, même si des études manquent sur le sujet.
  • Les circonstances particulières du patient unique que nous devons, soigner : ses préférences en matière de soins, mais aussi de balance bénéfice-risque, son terrain, sa génétique particulière qui peut faire que le remède qui fait consensus dans sa pathologie peut ne pas être adapté à son cas et bien d’autres critères, comme ses antécédents, ses allergies, ses croyances et j’en passe

Voici la représentation schématique de cette véritable EBM comme elle a été définie par ses créateurs.

Expérience clinique Données de la recherche Préférences du patient Donnent = décision

Et je trouve que c’est une belle représentation de la santé intégrative avec le patient impliqué totalement dans le parcours de soins, dans les décisions thérapeutiques. Mais c’est aussi une façon de rappeler que l’expérience du thérapeute peut être tout aussi importante que la science pure réalisée dans une éprouvette ! C’est une parfaite définition d’une médecine globale et humaniste, comme je tente de l’appliquer depuis 35 ans dans mon cabinet. Ce qui nous éloigne beaucoup de cette médecine moderne qui sera bientôt décidée par des ordinateurs.

Cela permet au patient de rester acteur de son traitement et de recevoir toutes les explications dont il aura besoin concernant sa maladie et les thérapeutiques proposées, qu’elles soient classiques ou moins conventionnelles. Car c’est bien la médecine qui est à sa disposition et en aucun cas l’inverse.

L’interprétation française erronée de l’EBM

Curieusement, ce n’est pas comme cela qu’est comprise et appliquée l’EBM en France. Une des raisons est que les Français sont mauvais en anglais et ont très mal traduit cette « Evidence based Medecine ». On en a fait une traduction inappropriée qui est « médecine basée sur les preuves ». Mais c’est une erreur de conception !

“Evidence” ne veut pas dire « preuves scientifiques ». Je viens de vous l’expliquer et vous comprenez que résumer l’EBM à la seule science réalisée dans des éprouvettes est très réducteur.

Oui, mais voilà, en France, on a des croyances. Je ne donnerai qu’un seul exemple exprimé par notre ancien ministre de la santé, lui-même médecin : « les vaccins sont sûrs et efficaces ! ». On a vu où ça nous a menés !

Je vais vous citer un autre exemple que j’ai appris pendant mes études de cancérologie. Certaines chimiothérapies, qui sont pourtant des médicaments très puissants, peuvent être efficaces en Europe et inefficaces en Asie. Et pour d’autres c’est l’inverse ! Vous voyez à quel point la science appliquée sans s’adapter à chaque individu peut être une ineptie.

Dans le même domaine, une chimiothérapie, le 5FU, a été très largement utilisée, en particulier dans le cancer du sang, jusqu’à ce qu’on se rende compte que ce produit pouvait devenir mortel pour certains patients qui n’avaient pas, pour des raisons génétiques, une enzyme particulière.

Science sans conscience nous disait déjà Rabelais à une époque, pourtant, où la dictature de la science scientiste, des statistiques froides et déshumanisées, n’était pas encore la règle. 

Comment l’EBM doit-elle être pratiquée ?

Alors, OUI, je suis un grand défenseur de l’EBM, mais de la VÉRITABLE EBM, prise dans sa définition complète qui permet de ne pas appliquer une médecine systématique et absurde basée sur la maladie et non pas sur le malade.

Car la médecine englobe bien plus que la science. Elle se fonde implicitement sur les quatre piliers de l’éthique médicale, comme le souligne Joseph Watine, une sommité française dans les domaines des guides de pratique clinique et de l’EBM.  Ces 4 piliers sont :

  • Le respect de « l’autonomie » du patient qui désigne la capacité de penser, de décider et d’agir librement de sa propre initiative. Et donc d’être acteur de sa propre santé et partie décisionnaire dans les soins qui lui seront appliqués.
  • La bienfaisance : C’est la promotion de ce qui est le plus avantageux pour le patient unique qui nous demande de le soigner au mieux de ses intérêts qui ne sont pas forcément basés uniquement sur des critères médicaux.
  • La non-malveillance : Éviter de causer un préjudice. C’est le fameux « primum non nocere ».
  • La justice : Cette notion est complexe sur le plan philosophique et je ne ferai que l’expliquer sans en débattre : les ressources sont limitées, on ne peut pas guérir tous les patients et il faut parfois établir des priorités. En d’autres mots, ce que le patient demande, est-il « juste » ? Par exemple, pourrait-il entraîner un fardeau pour d’autres ?

 

En conclusion, une médecine fondée sur la seule science fait la promotion d’une catégorie de données au détriment des « données contextuelles ». Les données contextuelles sont propres au cas : elles englobent les aspects socioculturels, émotifs, psychosociaux, institutionnels, socio-économiques et ne sont pas propres au patient seulement. Le médecin, les institutions de soins portent des valeurs qui influencent la décision médicale au même titre que les données scientifiques. Les essais cliniques randomisés (ECR), la science pure, sont insensibles aux données contextuelles se rapportant à l’individualité des patients.

Alors n’hésitez pas à demander à votre médecin de vous appliquer cette EBM comme elle a été imaginée et définie par ses fondateurs, et pas juste la dernière étude présentée par un laboratoire pharmaceutique, réalisée dans des conditions qui ne sont peut être pas les vôtres.

Ce qu'il faut retenir

La véritable EBM ne se limite pas aux seules études scientifiques : elle combine trois piliers essentiels pour une médecine humaniste et intégrative :

  1. Données scientifiques : analyses des études et preuves disponibles pour évaluer l’efficacité d’un traitement.

  2. Expérience clinique : expertise du praticien pour adapter les soins au patient unique.

  3. Contexte et préférences du patient : situation individuelle, terrain, génétique, antécédents et choix personnels.

Cette approche garantit une santé personnalisée, respectant l’autonomie du patient et optimisant les bénéfices tout en limitant les risques.

Pour aller plus loin

Ces conseils n’ont pas vocation à remplacer une consultation médicale. Ils peuvent vous aider à mieux dialoguer avec votre médecin afin de faciliter le diagnostic et les choix thérapeutiques.

 Ils peuvent éventuellement vous permettre d’attendre le rendez-vous avec votre médecin si les délais sont un peu longs.